1. Le village
LE SITE

Hadeth, ainsi que chacun des autres villages du Jobbé, est à la limite supérieure de l'habitat permanent du Liban. Il est bâti, à 1.450 mètres d'altitude, sur on promontoire allongé constitué par deux petites collines. Les versants de la Kadicha le limitent du sud-est au nord-ouest, une vallée, qui naît au village même, à l'ouest. C'est seulement vets le sud que le mamelon rejoint la montagne par une montée douce et continue.

En dehors de son site aux horizons vastes et variés, rien d'extraordinaire ne recommande ce modeste village de montagne à la curiosité du touriste pressé. Cependant, moins soucieux de son temps, l'enquêteur y découvre un complexe humain digne d'intérêt et d'attention.

L'HABITAT
a) Les matériaux de construction

La brique en béton n'est pas encore de mode à Hadeth pour la construction des murs. Le villageois ne lui fait pas confiance. Il croit qu'elle boit beaucoup d'eau l'hiver, qu'elle s'échauffe outre mesure l'été. Il lui préfère naturellement la pierre calcaire qu'il extrait des carrières à l'entour de son village et qu'il transporte facilement à dos d'âne ou de mulet. Le camion remplace, petit à petit, ce mode antique de transport. Les intéressés n'ont pas hésité à ouvrir dernièrement eux-mêmes une route de 5 km pour amener la pierre par camions.

Pour la fabrication des portes, des fenêtres et de leurs battants et volets, le villageois coupe un tronc de cèdre dans la forêt qui se trouve au sudouest de Hadeth, le transports à dos de chameau, le fait scier, équarrir et travailler par le menuisier du village. Le bois importé n'arrive pas encore à supplanter le bois local; les cadres en fer, qu'on achète tout faits au marché de la ville, ne prennent pas encore la place des cadres anciens; le battant massif est préféré, dans ce climat rude, à la persienne automatique, dont l'usage se généralise dans les autres régions du Liban.

Tous ces détails sent moins importants que le grand problème de la toiture. Celle-ci, dans la maison ancienne, était faite de poutres et de solives convertes de fougère. Une couche de terre battue, épaisse de 20 à 30 cm arrêtait la pluie. Un gros rouleau cylindrique en pierre calcaire, long d'un mètre et ayant à ses extrémités deux trous par lesquels le saisit un arc de bois on de fer, servait à entretenir la couche de terre. 1

Celle-ci nécessite des soins continus: sinon la pluie la dissout et y pénètre, d'autant plus facilement que la neige couvre le village plus de 5 mois de suite dans l'année. Aucune pente ne doit exister: l'eau entra&icurc;nerait la et la ferait tomber par les gouttières. Aucune herbe ne doit y pousser. Les racines facilitent la pénétration de l'eau à l'intérieur de la maison. L'on voit souvent, cependant, des toits goutter et des villageois sortir sous les averses les plus violentes pour <<rouler>> la terrasse et faire évacuer l'eau si les gouttières sent bouchées. De temps en temps, cette terre, qui n'est soutenue que par les fougères au-dessus des solives, s'en échappe et tombe par petites quantités à l'intérieur de la maison, surtout si les fourinis y ont fait des nids ... durant les mois ensoleillés.

Malgré tous ces ennuis, cette couverture de bois et de terre, prédomine encore à Hadeth; 106 maisons en sont encore pourvues. Le villageois la trouve plus chaude en hiver et meilleur marché que la toiture en béton ou en tuile rouge de Marseille. Les poutres et les solives sont prises dans la forêt de cèdres dont une partie appartient à Hadeth. Le bois de cèdre est imputrescible; on croit chez nous que la fumée du foyer qui se dégage tous les hivers et qui couvre, à la longue, les poutres d'une couche noire, les protège de la pourriture et des méfaits des insectes ...

Cependant, grâce à la présence, de plus en plus fréquente, de l'étranger, au contact avec la ville et les idées des émigrés qui rentrent, le villageois renonce à sa toiture traditionnelle dans les nouvelles constructions. Le béton envabit le village, bien qu'il soit difficile de l'étendre sans qu'il y ait des fissures qui laissent passer l'eau de pluie en hiver. Les 55 maisons qui en sont convertes ont beaucoup moins fière allure que les 42 constructions coiffèes de tuiles automatiques de Marseille dont la pourpre égaie le paysage d'une note très agréable dans ce climat de clarté et de verdure. Mais la tuile n'est plus de mode; la charpente en bois qui doit soutenir la toiture coûte cher ... et, l'hiver, le vent emporte cc qu'il peut quand il est très violent.

Mais la nostalgie de ces toits rouges hantera bien longtemps les Libanais. Ces tuiles, qui disparaissent lentement de l'horizon, sont le symbole d'une époque prospère, celle qui a suivi la guerre de 1914-1918. A ce moment, la détente politique et économique a permis aux émigrés de rentrer chez eux avec la fortune qu'ils avaient acquise à l'étranger et de construire des maisons confortables, bien coiffées par la tuile rouge...

Celle-ci signifiait pour eux richesse, rang agréable dans la société, admiration des villageois qui n'avaient jamais pu voyager. Maintenant les gens qui ont bâti ces maisons vieillissent et touchent à leur fin! Ils ne cessent de raconter leur vie à ceux qui ne se lassent pas de les écouter dire la même chose tous les jours! Leurs rangs diminuent d'une année à l'autre, alors que de nouvelles générations prennent leur place dans les maisons qu'ils ont construites il y a bien longtemps. Les enfants et les petits-enfants sont, de temps en temps, impitoyables!

Ils transforment la maison pour la rendre plus en accord avec le goût de l'estivant moderne. Ici, une cloison saute: là, une chambre bien vaste est divisée en deux. Une pi&eggrave;ce, bien chère au vieux grand-père, est transforméc en toilette, en cuisine on en salle à manger; le mobilier est sacrifié sans égard pour les vieux souvenirs! Des meubles neufs le remplacent peu à peu. Ces maisons, construites avec beaucoup de générosité, sont vastes et permettent toutes les transformations commodes, sans qu'il soit nécessaire de démolir et de bâtir de nouveau.

b) La maivon

La route, venant de Tripoli, parcourt le village du nord au sud pour tourner à l'est un peu plus loin. Les 195 maisons sont réparties en trois groupes principaux - Quartier des Diab, des Chedrawi et des Sféir - séparés les uns des autres par on étranglement du terrain ou par un espace libre. On en trouve 81 le long de la voie principale, au sommett et sur les flancs de la colline à l'ouest, 53 sur les premières pentes de la Kadicha, 61 sur la montée du sud. Trois branches de route goudronnée ont été acheve´e en 1953. L'une bifurque à gauche, à l'entré du village dont elle fait le tour par le nord-est et aboutit à la place d'où les deux autres renontent les pentes vers le Sud.

La place - (As-Sahat) - d'où la route part en cinq directions (nord, nord-ouest, nord-est, sud-est, et sud), est le véritable centre d'activité du village. C'est un rectangle goudronné, de 30 mètres de long; l'^eacute;glise et 13 petites boutiques en font le tour.

Il y a à Hadeth 106 maisons d'un seul étage, 88 de deux et une seule de trois stages. Dans les maisons anciennes, un sous-sol, (Tehtyiah), est réservé au bétail, au fourrage, au bois niort qu'on entasse pour l'hiver.

Sur cet ensemble, 42 toitures sont en tuile rouge de Marseille, 106 en bois convert de chaume et de terre battue, 55 en béton armé.

La différence entre le nombre des maisons, qui est de 195, et celui des toits, qui est de 203, vient du fait qu'il y a des terrasses moitié béton, moitié tuile ou terre battue.

145 immeubles sont habités par leur propriétaire, du moins en hiver; car il y a 49 maisons construites spécialement pour le loyer d'été et presque la moitié des villageois cèdent la demeure ou une partie de celle-ci à un estivant. La famille se construit une hutte en branchage sur la terrasse ou dans le lopin de terre à côté, ou bien elle s'en va tout entière à la montagne pour entreteinir la propriété, la garder et faire la récolte.

Type ancien

La maison ancienne de Hadeth, comme la maison méditeeranéenne en général, manque de coquetterie et de beauté extérieure. Bien entendu, la toiture rouge met une variété dans le paysage d'autant plus agréable qu'il fait beau et que le printemps est prodigue en verdure. La véranda, le balcon ou les arcades, éléments plutôt utilitaires que décoratifs, ne changent rien à l'aspect trapu de la construction en pierre séche.

Il n'etait, jusqu'à une date récente, à Hadeth, aucune maison qui fût capable d'attirer l'attention par l'esthétique de son architecture.

Par contre, l'intérieur, depuis toujours agréable, gagne tous les ans en confort et en bon goût. A la différence des paysans des plaines du Moyen-Orient, qui trouvent tout naturet de loger bêtes et gens dans la même pièe, le villageois de la montane du Liban réserve sa demeure à ses hôtes, à sa famille et à lui-niême. Tout est propre autour du foyer. La pauvreté est souvent dissimulée grâce à un ordre et à une patience de tons les jours. Il est vrai que dans la maison du petit cultivateur dont le revenu ne dépasse guère le strict nécessaire, il n'y a qu'une pièce unique servant à tous les usages. On y trouve, sauf de rares exceptions, une aimoire en bois de chêne servant de arde-robe, qu'on appelle <<Yuk>>2 comme une embrasure de porte pratiquée dans le mur, un placard si l'on peut dire, où la femme empire, après les avoir pliés à la mesure convenable, les matelas, les couvertures, les oreillers et les nattes.

Le lit en fer ou en bois est bien rare dans la maison des pauvres: une large natte étendue par terre sert à recevoir les matelas en laine sur lesquels couche la famille. Cette vieille coutunie qui disparaît n'est pas préjudiciable à la santé dans ce climat sec.

Dans un coin se trouvent deux tonneaux en terre sèche pour conserver le pain et, au moins, une partie de la réserve de froment ou de farine. Dans un autre coin, une malle massive en bois dur renferme, sous clef, les objets qui <<ne doivent pas être mis entre les mains des enfants>>: les économies, les dragées et les bonbons qu'on offre avec le café aux amis et aux hôtes, les bijoux de la femme, la montre, le pistolet et le fusil du mari, s'il y a lieu . . .

Le lit du bébé, fait d'une toile rectangulaire tendue sur quatre bâtons, est suspendu au plafond par des cordes attachée à ses quatre coins. La mère peut bercer son enfant dans tous les sens, à l'aide d'une cordelette tout en vaquant aux travaux ménagers.

Quant à la cuisine, elle est faite, l'été, tant bien que mal, dans une hutte en branchage dressée devant la maison ou adossée au mur. L'hiver, la casserole surmonte toujours le foyer à trois pieds en terre sèche on le poêle métallique, qui servent au chauffage ...

La maison ancienne n'a pas de cabinet de toilette. On s'en passe si facilement dans ce climat. L'espace libre ne manque pas.

Type en évolution

Mais cette maison est la moins fréquente à Hadeth, à l'heure actuelle. Il en reste à peine 15 à 20. La plupart des maisons paysannes, 90 à 95 au moins, sont assez évoluées et possèdent un certain confort. Elles sont divisées en quatre on cinq pièces, pourvues d'un mobilier moderne: lit, chaises, fauteuils, armoires, cuisine, toilettes, électricité, machine ´ coudre, fer à repasser électrique, poste de T.S.F. Mais on y rencontre des constrastes frappants entre on passé qui résiste et un modernisme pressé. Presque quatre fois sur dix un poste de T.S.F., dernier modéle, est posé sur une malle vieille de cent ans! L'eau, conservée dans une jarre en argile, est servie à table dans des verres en cristal fabriqués en Europe ou en Amérique en 1956. L'a&iulm;eul, dans sa tenue de 1885, se trouve à côté de sa coquette petite-fille en pantalon ...

Type moderne

Une trentaine de maisons de riches et les demeures aménagées spécialement pour le loyer d'été ne le cèdent en rien à la maison urbaine de Beyrouth ou de Tripoli. Les aspects du passé sont éliminés. Le plan est étudié en fonction des besoins et du bien-être de l'homme moderne. Certains se payent le luxe d'une machine à laver ou d'une cuisinière électrique, d'un frigidaire, du gaz butane ...

D'ailleurs la cadence de construction est significative: de 1920 à 1943, il y eut 40 nouvelles maisons. De 1943 à 1952, il y en eut 20. 1953-1956, 15! Puis le rythme se ralentit. Aucun chantier en 1957.

C'est la périphérie qui en profile davantage, en particulier les pentes qui précèdent l'agglomération soit au nord, soit au sud. On tend de plus à donner à la maison un aspect de villa s'ouvrant sur un large point de vue.

La véranda et le balcon prennent de l'importance et donnent à l'ensemble un cachet de luxe. Certains vont jusqu'à en faire sur les quatre côtés de l'immeuble, comme un péristyle coquet et léger.


1Ce rouleau est la <<mahdle>>, alteration d'un terme litteral signifiant <<oppresser>>.

2Armoire. On releve, dans le neme sens, un autre terme: <<Khirstani>>.

3Voi annexe photographique.